ON ACHEVE BIEN LES CH...OMEURS !
Toute ressemblance avec....
ACTE I
C’est sur les pentes de la Croix Rousse que j’ai connu Gnougnou. Il était l’un des plus jeune squatteur d’une petite bande organisée qui revendiquait avec intelligence et joyeuseté l’appropriation des lieux inoccupés.
L’école de la vie leur a permis de développer leurs prétentions, de s’organiser et de se politiser. Ils sont passés ainsi d’apparts squattés à des surfaces moins modérées, créant des lieux culturels ouverts sur le quartier avec des espaces pour habiter et d’autres pour se distraire, écouter de la musique, apprendre, jouer de la musique, se parler entre autres de musique, boire, manger, se connaître… ou même, extase suprême : ne rien glander, mais toujours avec, en fond sonore, la musique, toujours.
Ils luttaient, à leur manière, contre la spéculation immobilière, souvent autour d’un verre de bière.
Certains vivaient de petits boulots, les plus jeunes de TUC puis de CES, d’autres touchaient le RMI… Ils glanaient des légumes et autres denrées de fin de marché pour ne pas gaspiller et aussi, vivre à moindre frais.
Leur truc c’était l’autogestion : ils ont tenu une imprimerie alternative, ouvert un restau végétarien à prix libre, un lieu où ils organisaient des spectacles, des concerts… Ils organisaient « des échanges » avec d’autres « libertaires » d’autres villes de France et d’Europe.
Puis tout ce petit monde s’est éparpillé les uns en Bretagne, d’autres à Toulouse, y’en a même qui, comme lui, ont fondé une famille.
Dix ans que je n’avais pas de nouvelles quand il appelle du fin fond de l’Ardèche où il vit avec sa fille. La maman n’habite pas loin. Ils s’entendent bien, ils ont choisi la garde alternée. Pas toujours facile à gérer.
Il est dans la galère et me raconte :
« J’ai travaillé dans un poulailler, je me suis ramassé une pneumonie, j’ai été déclaré inapte : allergie aux plumes. J’ai été licencié alors que j’étais en arrêt maladie. Je me suis inscrit à l’ANPE, et très rapidement, l’ANPE m’a proposé des offres d’emploi de saisonnier. C’était le temps des cerises, je suis allé les ramasser. »
Pas deux jours qu’il est là, dans ce verger, quand l’inspection du travail fait une descente avec 8 gendarmes, ils ont décidé de lancer une opération de contrôle du travail illégal sur 48 exploitations. Son patron lui dit : « merde, tu n’es pas déclaré ». Gnougnou, sous le coup de la surprise, va pisser négligemment contre un cerisier, s’imaginant probablement que la pudeur va les tenir à l’écart et qu’ils n’oseront pas s’approcher.
Il est contrôlé. L’employeur explique : « C’est ma femme qui devait le déclarer, elle est débordée ». Un constat est dressé.
Il continue de travailler. Il en parle avec son conseiller ANPE qui lui dit qu’il ne risque rien, l’employeur si, il était sensé faire une « déclaration préalable à l’embauche », mais lui n’est pas responsable puisqu’il a déclaré son activité.
Il reçoit bien des lettres recommandées, mais vieux réflexe, il ne va pas les chercher. Les lettres recommandées, c’est pas des bonnes nouvelles : vieilles amendes, et autres contraventions en tout genre, mieux vaut les ignorer. En fait, c’est la DDTEFP (Direction Départementale du Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) qui l’informe, par un premier courrier qu’elle va le sanctionner, puis par un second qu’il est sanctionné : exclusion définitive du revenu de remplacement. Il peut faire appel.
Il n’y comprend rien. Mais il fait appel.
Convoqué devant la commission de recours, il est effaré. On lui reproche son manque de mobilité géographique. Il a l’impression d’être dans un tribunal d’exception qui juge les chômeurs, il y a plusieurs personnes autour de la table. Tous semblent le toiser, le juger. L’un des « juges » se prend en exemple et lui dit qu’il lui est arrivé de faire 30 km à vélo pour aller travailler. Il est jeune, à son âge, même s’il n’a pas de voiture, il peut pédaler… Tandis que l’autre s’écoute parler, lui se demande pourquoi il est là, ce qu’on lui reproche exactement, il le dit. Les questions continuent de fuser, certaines autour du « travail dissimulé ». Il a beau dire qu’il a déclaré son activité, rien n’y fait. Pensant remettre un peu de réel et donc d’humanité dans cette histoire kafkaïenne, il parle de sa fille dont il a la garde alternée, de ses problèmes de santé qu’il a dû surmonter, c’est encore pire. Tout ce qu’il peut dire se retourne contre lui. Il se sent humilié.
Quelques jours plus tard, il recevra, toujours en recommandé, la décision de la commission de recours : l’exclusion définitive du revenu de remplacement est confirmée.
à suivre...